Hommage à Becky Wasserman

Hommage à Becky Wasserman

Nous avions eu la chance de rencontrer Becky Wasserman dans le cadre de la promotion des Aligoteurs, que l’Escargot Vigneron soutient activement. Notre consoeur a été une pionnière dans l’exportation des vins de Bourgogne aux Etats-Unis.

Becky Wasserman
& les Aligoteurs

Est-ce que le salon des Aligoteurs a donné un nouvel élan au cépage Aligoté ? Becky ferme les yeux… ” Oh oui “, souffle-t-elle avec un léger accent. Un court instant, Becky Wasserman laisse ses souvenirs affluer. A 81 ans, la New Yorkaise retirée au calme dans les Hautes-Côtes est encore active. L’exportatrice de vins bourguignons fait partie des pionnières. Aujourd’hui, elle soutient de tout cœur ces vignerons artisans qui façonnent avec enthousiasme la Bourgogne et son image et qui comme elle, ont un jour été initiés à ses mystères.

Du parcellaire de chez Pataille au « hit » du Texas

” J’ai toujours été une grande fan de l’Aligoté. C’était une référence que nous avions depuis les débuts dans nos catalogues, bien sûr, et que nous vendions dans les bistrots français. ” A New York, l’Aligoté et le Passe-tout-grain de chez Lafarge étaient connus dans les bistrots branchés. Un critique de vin très astucieux avait décrit l’Aligoté comme ” l’autre vin blanc de la Bourgogne ” … De quoi attirer les connaisseurs.

” C’est un cépage que j’aime et qui peut être délicieux, frais. ” Becky se lève, se sert un verre d’eau et reprend : ” Quand Sylvain Pataille m’a parlé de son projet de parcellaire en Aligoté, j’ai trouvé cela fascinant. ” L’Aligoté est plein de vivacité !

Et depuis, l’Aligoté a fait son chemin jusqu’à cette dégustation fondatrice des Aligoteurs. ” Aligoteurs – Alligators, relève-t-elle la mine réjouie, j’aime beaucoup le trait d’humour. C’est d’ailleurs cet énorme enthousiasme autour de la rencontre qui lui a donné tout son élan ! Imaginez seulement, avec les réseaux sociaux, l’événement bourguignon a fait le tour du monde. ” … Jusqu’au Texas où deux fous d’Aligotés ont enregistré une chanson complètement décalée – quoique anecdotique – en son honneur. ” Tout cela était brillant, parce que ça a été fait avec un franc sens de l’humour. “

Sylvain Pataille sur l’Aligoté : « Une identité bourguignonne ? Une p**** d’identité, même ! »

Un exemple détonnant pour donner une image nouvelle de la Bourgogne trop souvent prise dans le cliché de sa toute récente inaccessibilité. Est-ce que le salon des Aligoteurs a donné un nouvel élan au cépage Aligoté ? ” Poussé par cette promotion, il s’est forgé sa propre identité avec une rapidité extraordinaire. ”  …

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Mais d’où vient Becky Wasserman, la grande prêtresse du vin bourguignon aux Etats-Unis ? Des beaux quartiers de New York… Manhattan plus précisément, l’East Side bourgeois où Becky enfant a fréquenté l’école Steiner ” J’ai eu mon oignon biodynamique ” au 8e étage d’un bâtiment de Big Apple ” fabuleux… j’ai encore des souvenirs en grec. C’était une éducation très intelligente, les enfants étaient très éveillés. “

Beauvoir et Camus, Steiner, la prohibition

Et puis c’était le lycée intello, un prof extraordinaire, sa seconde langue était le français. Becky était très francophile : ” Je lisais les existentialistes, Sartre, Beauvoir, avec un verre de vin et une cigarette aux lèvres, un livre de Camus sous le bras. ” Comme Juliette Gréco, elle s’habille en noir.

Becky habite une adresse chic, son père travaille à Wall Street, A l’époque, il est peu intéressé par le vin car il appartient à la génération des cocktails et des whiskies. Sa maman hongroise-roumaine est danseuse, elle est première étoile du Balai Royal de l’Opéra House de Cluj (en Transylvanie hongroise), puis danseuse à Berlin. Elle a travaillé avec un compositeur viennois en Allemagne puis aux Etats-Unis où elle achève sa carrière. ” Mon grand-père, quant à lui, faisait un vin traditionnel en Hongrie, le Tokaj. Peut-être un vague gêne s’est promené ! “, rit Becky Wasserman.

” J’ai vraiment découvert le vin avec mon premier mari. Il était à Harvard avec un ami français passionné de vin. Gordon est revenu de France avec des idées de comment on doit manger et boire. Il a même influencé les jeunes de Harvard. ” D’ailleurs, son mari est un artiste très mondain et Becky en est réduite à étudier de près les cartes des vins pour agrémenter les dîners qu’elle organise et concocte elle-même. Derrière une certaine amertume, elle confesse des moments extraordinaires. ” Je me voyais comme la femme d’un artiste, petite créature grise et soumise. Mon boulot était de faire tout sauf de l’art. Je louais et polissais les verres.  Je n’étais pas invitée en dégustation. Un jour j’en ai eu ras le bol…. “

Une petite idée fait son chemin, Becky Wasserman rêve de devenir indépendante financièrement. Dans les années 70, elle entrevoit une possibilité, une piste, dans l’import-export. ” La première fois que nous avons posé un pied en France, c’était en 1967, l’année suivante, nous avons acheté une maison à Saint-Romain, mitoyenne d’un tonnelier. Or en Californie, quelqu’un cherchait à acquérir des fûts, l’industrie n’était pas développée à l’époque. « Jean m’a demandé d’exporter ses fûts en Californie, ça a été un soulagement fabuleux. J’ai vu qu’il y avait quelque chose à faire. “

L’initiation, le vin, l’envol

Becky Wasserman a été à bonne école. En travaillant pour son mari, elle déguste énormément, et les vignerons et tonneliers lui apprennent le reste. Elle rencontre François Tarensault et les Mugneret de Vosne-Romanée. Elle multiplie les petits travaux pendant une dizaine d’années puis claque la porte de la maison familiale et s’installe à Bouilland avec ses fils. ” Je suis allée dans les forêts pour fendre du bois, visité des régions viticoles en Californie. Partout, j’ai été énormément aidée par des personnes importantes pour leur génération. Ma première vente de fûts a été de … 15 fûts. ” Formée sur le tas, la jeune quadragénaire apprend comment envoyer des fûts en Californie, la méthodologie, comment optimiser les exports, comment exporter de petites quantités, apprendre aux domaines comment exporter. Panacher les commandes.

” J’ai beaucoup appris en logistique à ce moment-là. Nous sommes devenus indépendants en 1986, à la force du bras. La liberté … C’est là que la vie a changé. Aujourd’hui, les jeunes stagiaires pensent que notre travail ce sont de simples dégustations et des mots d’œnophiles, mais c’est bien plus que ça. C’est un travail jour après jour, nuit après nuit. J’ai une reconnaissance énorme envers tous ceux qui ont travaillé avec moi. Nous avons lié certaines collaborations sur trois générations. “

” Quand j’ai commencé dans le domaine du vin, ce n’était pas la boisson préférée des Américains, loin de là. Dans certains états elle était considérée comme exclusivement européenne. J’ai débuté en 1976, l’industrie californienne était enfant, sauf pour les grandes maisons historiques. Aux Etats Unis, le vin n’était pas trop bien vu, on appelle un alcoolique un ” winer “… Le marché a commencé à évoluer dans les années 1960-70 – il y a bien eu quelques ouvertures juste après la fin de la prohibition mais c’est retombé. Des îlots comme Boston, New York, Chicago, San Francisco ou encore les villes où il existait des restaurants français ont commencé à boire du bourgogne et aujourd’hui l’Oregon qui venait à l’époque de planter de la vigne. Pour moi le vin de Bourgogne était une curiosité qui est devenu une passion. “

Génération Becky Wasserman

Qui connait Becky Wasserman ? ” Ceux qui boivent en général… et les importateurs. Nous exportons toujours dans les grandes villes, les états qui se mettent au vin et à la cuisine …” Becky Wasserman réussit le tour de force de toucher Monsieur et Madame Tout-Le-Monde, des Américains qui n’ont pas les fonds pour collectionner des vins mais qu’elle met à l’aise avec le vin. ” On dépend des détaillants et des sommeliers, on les amène à déguster. On compte sur des journalistes connus. Un de mes fils qui vit aux USA fait des interventions pour valoriser le Mâconnais. Nous sensibilisons, c’est presque de la séduction. “

« Quand je suis arrivée en France, il était considéré comme impoli de montrer l’étiquette d’un vin. Sauf si le vin était magnifique ou si c’était une très vieille bouteille. Beaucoup de vins étaient mis en carafe. Aujourd’hui, les gens vous jugent pour ce que vous mettez sur la table, donc cela devient très intéressant de voir les étiquettes. »

” La jeune génération est passionnée, elle est formidable. Les vignerons discutent entre eux, ils expérimentent. Depuis que je suis là, il y a 50 ans, il y a eu un changement climatique radical. Un gel précoce, des coups de grêle énormes. Aujourd’hui, c’est violent. Il y a toutes sortes de défis énormes. Je suis fascinée par les solutions naturelles et scientifiques. Aujourd’hui, les Aligoteurs sont une force, ils vont peut-être montrer le chemin pour d’autres appellations, il y a beaucoup de choses à faire. “

« Depuis 1976, j’ai toujours affectionné les vieilles vignes. Il m’a toujours semblé qu’ils étaient mieux tissés, avec une texture plus importante. Il y a eu une époque où les gens ont replanté avec un matériel végétal fragile plutôt qu’avec des sélections massales. La sélection clonale était en fait en cours d’expérimentation. »