Causerie avec … Thomas Bouley

Causerie avec … Thomas Bouley

Vigneron réputé à Volnay, Thomas Bouley a fait chavirer le coeur d’Anima Vinum avec ses Pinot Noir d’une grande finesse, manifestant une présence exceptionnelle. Le hasard n’y est pas pour grand chose, l’ouverture d’esprit, la rigueur de travail et la finesse d’analyse de Thomas s’ajoute à de grands terroirs historiques…

Échange technique et intime avec une figure montante du vignoble.

Quelle est ta parcelle préférée ?

« Ah … Compliqué ! Je les aime toutes. Autant me demander quel enfant je préfère !

Pour l’anecdote, la première fois que je suis allée dans la parcelle de Carelle-sous-Chapelle, je m’y suis senti bien, vraiment très bien. Elle possède une énergie toute particulière, c’est un milieu de coteau en pente douce. C’était aussi la vigne préférée de mon grand-père. Sur cette parcelle, on se sent spontanément bien, sans expliquer pourquoi. »

Quel vin donne-t-elle ?

« C’est une parcelle très solaire, très précoce, elle bénéficie de l’ensoleillement du lever au coucher du soleil donc elle est toujours très mûre, très expressive. Ses sols sont de terre rouge, des argiles contenant beaucoup de fer : donnant un vin sphérique, soyeux avec un velouté de tannin… Le sous-sol est riche en roches crayeuses : des têtes de moines, des terres grisâtres qui donnent une fin de bouche poudreuse, un joli pep’s. Elle coche toutes les cases pour faire un grand vin.

Définitivement, je goûte dans le verre tout ce que je peux voir de la parcelle. »

As-tu un objet fétiche en tant que vigneron ?

« Je dirais mon sécateur manuel – et non électrique ! Il me permet de garder ma sensibilité. On ne s’amuse pas à mettre 15 coups de sécateurs sur un bois sec sinon, on a une tendinite avant deux jours.

Je dis manuel et non électrique.

Parce qu’avec le second, tu coupes une branche de 40 centimètres et de 5-6 centimètres de diamètres en appuyant sur la gâchette. Résultat, en coupant les flux de sève importants, tu peux amputer un cep des ¾ de sa mise en réserve du vivant et l’affaiblir, réduire sa durée de vie de moitié.

A mon sens, l’arrivée du sécateur électrique a contribué je pense à la chute de vitalité des vignes, au dépérissement du vignoble dont on parle aujourd’hui. »

Qu’est-ce que veut dire pour toi « prendre soin de ses vignes » ?

« C’est savoir observer ses vignes et s’adapter.  C’est ce qu’on appelle le bon sens paysan, et pour cela, il n’existe aucun label.

La vigne est à mes yeux un être vivant, et non un gagne-pain. Comme nous, quand nous avons froid, elle a froid, quand il fait chaud, elle a besoin d’eau. Et labourer un après-midi de canicule, remonter de la poussière brûlante, c’est une souffrance pour elle.

Pour bien entretenir les vignes, nous avons besoin de personnel, qui effectuent énormément de tâches manuelles. Le secret c’est une personne par hectare en saison.

Je ne recherche pas l’esthétisme : des vignes au carré, sans herbes, « des vignes propres », mais un sol vivant, bien équilibré avec de la vie dedans qui fonctionne bien. »

As-tu un auteur fétiche (en termes de techniques de vignes) ?

« Je n’ai quasiment aucune lecture à ce sujet. Je m’inspire avant tout de la nature. Je « ressens » la façon de faire adéquate. Depuis le début de ma carrière en tant que vigneron, ma priorité est la vie du sol : une plante saine pousse sur un sol sain et produit des raisins sains.

Cela dit je suis curieux et je m’inspire des personnes que je rencontre. Je suis convaincu qu’il n’existe pas de théorie générale pour la vigne.

Nous avons tous nos historiques de vignes, nos terrains différents, des hauts de coteaux, des bas, des terres blanches, des terres rouges, du calcaire, du marneux, des années qui ne se ressemblent pas.

Récemment j’ai posté sur les réseaux sociaux à propos d’un livre que j’aime bien* parce qu’il explique comment fonctionne le vivant mais il ne donne pas de recettes. Pas de parti pris. (Phytothérapie appliquée aux Vignes, Justine Vichard. Editions Pacte Végétal) »

Quel pallier as-tu franchi en termes d’écologie ?

« Je suis en bio non certifié depuis que j’ai commencé. Un changement de philosophie pour le domaine, un changement de générations. Mon père est un enfant du baby-boom qui a connu le labour à cheval et les longues journées à la pioche. Comme les autres, il a été séduit par les promesses des désherbants : 12 hectares de désherbage en une journée pour une personne, les engrais de synthèse pour des vignes plus vertes et vigoureuses, et puis des produits pour lutter contre les maladies qui sont arrivées. C’était malheureusement le début d’un cercle vicieux qui a affaiblit les vignes.

Ma ligne de conduite, c’est :  pas de désherbants (alors qu’à mes débuts en 2002, ce n’était pas une pratique très répandue), pas de produits de synthèse, en termes de produit phytosanitaire j’utilise uniquement du cuivre et du soufre qui sont autorisés en bio. Je travaille ainsi par conviction, non pas pour recevoir un avantage commercial. »

Quelle est la contrainte ?

« La contrainte, c’est une main d’œuvre plus nombreuse. Une personne par hectare contre une pour 3.8 hectares, plus couramment en viticulture. »

Quelle est ta période la plus speed ?

« La période de croissance de la vigne : en mai-juin. C’est le moment le plus intense de l’année : la vigne pousse jusqu’à 20-30 centimètres par nuit. Elle ne connait pas de jours fériés, ni de week-ends. Du coup, quand nous revenons le lundi, elle a pris 50 centimètres ou plus. Elle demande beaucoup de passages.

L’autre période, c’est la rentrée du raisin au moment des vendanges. »

Ta période préférée ?

« C’est en ce moment (le mois de juillet) : les vignes sont belles, les grappes bien formées. J’aime la croissance de la vigne, le lever et le coucher de soleil, les lumières, la vie en pleine croissance avant l’écimage. J’ai d’ailleurs toujours du mal à mettre le premier coup de cisaille.

Et puis j’aime aussi le moment des vinifications. C’est l’accouchement de la saison, tu as l’ADN du millésime. C’est la magie du vin : tu te remets les conditions de la saison. »

La région viticole (hors la tienne) que tu préfères boire en été ?

« Je suis fan des blancs du Val de Loire. Avec les cépages Chenin, Melon de Bourgogne (Muscadet), Sauvignon. Il y a de vrais vignerons passionnés avec de grandes convictions, une grande sensibilité, un vrai jus de raisin sans artifice, un message, une énergie.

Je suis fan de Thibault Boudignon en Anjou, de Jérôme Bretaudeau dans le Muscadet.

Pour les rouges, je me tourne facilement vers le Sud : je suis fan de Tempier à Bandol, Peyre Rose ,le Lalou-Bise Leroy du Languedoc, avec des vins vibratoires à la complexité sans comparaison. Et puis le Rhône, c’est grand… Et puis Bordeaux… »

Tu es plutôt vignes ou vinif ?

« Vignes… Parce que tout se passe à la vigne. Tu ne peux pas faire d’un raisin en plastique un grand vin d’émotions vibrant. »

Tu fais plus confiance à ton intuition ou à ton œnologue ?

« Si tu as bien suivi, tu devrais connaître la réponse ! Cela dit, ce que j’aime dans la rencontre avec l’œnologue, c’est qu’il m’apporte une vision extérieure, ce qui se fait dans le millésime. J’apprécie le fait d’avoir un second avis gustatif pour mes cuvées. »

Est-ce que l’augmentation des prix du vin en 2021 t’a permis d’acheter un nouveau 4×4 et un château en Espagne ?

« Attends, je réfléchis… Le 4×4, non et le château … Eh ben non plus ! (rire) Non, les augmentations sont faites pour payer le personnel, en bonne partie. Mais aussi les investissements : la nouvelle cuverie me tient chaud !

Nous avons 9 hectares de vignes et en saison, nous faisons en sorte d’être 9 dans les vignes, 1 par hectare. Le but n’est pas de payer les salariés au Smic, mais de valoriser leur travail. Ce sont mes « collaborateurs ».

Tu ne fais pas du bon travail si tu n’es pas valorisé. Je leur en demande beaucoup, ils bossent dur, les conditions (météo par exemple) sont difficiles. C’est donc une reconnaissance : nous dégageons du profit et partageons un peu cette réussite à juste titre.

Quant à l’augmentation des prix que tu évoques, je suis d’avis que la viticulture actuelle est à deux vitesses. Les petits vignerons sur de petites appellations doivent se battre plus fort que leurs homologues sur les grandes appellations.

Le Val de Loire, c’est une véritable mine d’or à ce titre, car finalement leur seule issue est de réaliser des vins de grande qualité. Aujourd’hui, le meilleur rapport qualité-prix ici en Bourgogne, c’est … le Bourgogne (appellation régionale), il n’a jamais été aussi bon ! »

Merci Thomas !

Renowned winemaker in Volnay, Thomas Bouley capsized the heart of Anima Vinum with his Pinot Noir of great finesse, showing an exceptional presence. Chance has little to do with it, Thomas’ open-mindedness, rigor of work and finesse of analysis are added to great historical terroirs… Technical and intimate exchange with a rising figure in the vineyard.

What is your favorite plot?

Ah… Complicated! I love them all. You might as well ask me which child I prefer!

For the record, the first time I went to the Carelle-sous-Chapelle plot, I felt good there, really very good. It has a very special energy, it is a gently sloping hillside environment. It was also my grandfather’s favorite vine. On this plot, we feel spontaneously good, without explaining why.

What wine does it give?

It’s a very sunny plot, very early, it benefits from sunshine, from sunrise to sunset, so it is always very ripe, very expressive. Its soil are red earth, clays containing, a lot of iron : giving a spherical, silky wine with a velvety tannin… the subsoil is rich in chalky rocks : heads of monks, gravish earths which gives a powdery finish, a nice pep’s. It ticks all the boxes tom make a great wine.

Definitely, i taste in the glass all that i can see from the plot.

A favorite object as a winegrower ?

I would say, manual pruner – not electric! It allows me to keep my sensitivity. It is not fun to put 15 strokes of secateur on dry wood otherwise, we get tendonitis within two days.

I say manual and not electric. Because with the second, you cut a branch of 40 centimeter and 5-6 centimeters in diameter by pressing the trigger. And so, by cutting the important sap flows, you can amputate a stock of 3/4 of its storage of the living and weaken it, reduce its lifespanby half.

To me, the arrival of the electric pruner conributed to the fall of vitality of the vines, to the decline of the vineyard we are talking about today.

What does “taking care of your vines” mean to you ?

It’s knowing how to observe your vines and adapt. This is called peasant common sense, and for this, there is no label.

The vine is in my eyes a living being and not a livelihood. Like us, when we are cold, then the vinen is cold. When it’s hot, the vine needs water. And plowing through a scorching afternoon, bringing up burning dust, is a pain for her.

To properly maintain the vines, we need staff, who do a lot of manual work. The secret is one person per hectare in season.

I am not looking for aesthetics : square vines, withoud weeds, “clean vines”, but a living, well-balanced soil with life in it, and that works well.

Do you have a favorite author ?

I have hardly any reading about it. Above all, I am inspired by nature. i “feel” the correct way of doing things. Since the beginning of my career as a winemaker, my priority has been the life of soil : a healthy plant grows on healthy soil and produces healthy grapes.

That said, I am curious and I am inspired by people I meet. I am convinced that there is no general theory for the vine.

We all have our own history of vines, our different terrains, hilltops, lowlands, white soils, red soils, limestone, marl, years that are not alike.

Recently i posted on social networks about a book that I like, because it explains how life works but it does not give recipes. No bias. (Phytohterapy applied to vines, Justine Vichard, Pacte Végétal Editions).

What step have you taken in terms of ecology ?

I have been working in non-certified organic since I started. A change of philosophy for the estate, a change of generations. My father is a baby-boomer who has known horse plowing and long days with a pickaxe. Like the others, he was seduced by the promises of weedkillers : 12 hectares of weeding in one day for one person, synthetic fertilizers for greener and more vigorous vines, and then products to fight against diseases that have arrived. It was unfortunately the beginning of a vicious circle which weakened the vines.

My guidelines is : no weedkillers (whereas when I started in 2002, it was not a very widespread practice), no synthetic products, in term of phytosanitary product, i only use copper and sulphur which are authorized in organic. I work like this out of conviction, not to receive a commercial advantage.

What is the constraint ?

The constraint is a larger workforce. One person per hectare against one for 3.8 hectares, more commonly in viticulture.

What is your fastest period ?

The period of growth of the vine : in May-June. This is the most intense time of the year : the vines grow up to 20-30 centimeters per night. Vine knows no holidays or weekends. So when we come back on Monday, she’s grown 50 centimeters or more. It requires a lot of passages.

The other period is when the grapes come in at harvest time.

Your favorite period ?

It is now (the month of July) : the vines are beautiful, the bunches well formed. I love the growth of the vine, the sunrise and sunset, the lights, the growing life before topping. I always have trouble getting the first shears.

And then i also like the time of vinification. This is the birth of the season, you have the DNA of the vintage. This is the magic of wine : you recover from the condition of the season.

Which wine region (outside your own) do you prefer to drink during summer ?

I’m a fan of the Loire Valley whites. With Chenin, Melon de Bourgogne (Muscadet), Sauvignon grapes varity. There are real passionate winegrowers with great convictions, great sensivity, real grape juice without artifice, a message, an energy.

I’m a fan of Thibault Boudignon in Anjou, of Jérôme Bretaudeau in Muscadet.

For reds, I easily turn to the South : I’m a fan of Tempier in Bandol, Peyre Rose – Lalou-Bise from Languedoc – with vibrant wines of incomparable complexity. And then the Rhône is great… anf then Bordeaux…

Do you prefer vine craftwork or vinifications ?

Vines … because everything happens in the vineyard. You cannot turn a plastic grape into a great wine of vibrant emotions.

Do you trust your intuition or your oenologist more ?

If you followed what i said, you should get the answer. That said, what i like about meeting an oenologist is that he gives me an overview about what people have done in the vintage. I appreciate the fact of having a second taste opinion for my cuvées.

Did the increase in wine prices in 2021 allow you to buy a new 4×4 and a castle in Spain ?

Wait, i’m thinking… The 4×4 no, and the castle… Well, neither (laughs). No, the increase are made to pay the staff, in large part. But also the investments : the new winery keeps me warm !

We have 9 hectares of vines and in season, we make sure to be 9 in the vines, 1 per hectare. The goal is not to pay employees the minimum, but to value their work. They are my “collaborators”.

You are not doing a good job if your are not valued. I ask them a lot, they work hard, the conditions (weather for example) are difficult. It is therefore a recognition : we generate profit and share this success little rightly.

As for the price increase you mention, i am of the opinion that current viticulture is two-speed. Small winegrowers in small appellations have to fight harder than their counterparts in large appellations.

The Loire Valley is a real gold mine in this respect, because ultimately their only way out is to produce high-quality wines. Today, the best value for money here in Burgundy is … Bourgogne (regional appellation), it has never been so good !

Thank you Thomas !